25 Nov Christophe Dominici
J’ai connu Christophe Dominici.
C’était un soir de profonde détresse à l’époque où je me cherchais.
J’étais à Orly Ouest, mes deux jeunes enfants sous les bras. Leur mère venait de me quitter.
Assis à une table, dans le zig, le roi de l’époque par ses zigs et ses zags qui avaient mis les All blacks un genou à terre, tout juste sacré meilleur joueur de rugby, s’assit en face de moi. Il me dévisagea. Nous découvrîmes que nous prenions le même avion pour Nice, et de sa voix chantante : « putain, qu’est-ce que tu dégages comme ondes positives, con ! ». De quoi vous renvoyer dans vos 22 illico.
Nous ne nous sommes depuis jamais quittés.
Tu faisais de nombreuses pirouettes Christophe, amusantes parfois, comme oublier de marquer en lâchant un ballon dans l’en-but.
Ta dernière est nettement moins drôle et laisse un espace. Un que tu dévoreras forcément, pour aller vers une autre victoire.
Voilà ex-nihilo trois extraits glanés de nos échanges :
« A un moment de ma carrière, j’ai ressenti le besoin d’un travail sur moi. J’ai rencontré un fourre-tout de compétences, et mon choix s’est porté sur un kinésiologue, Pierre Cesano ». La kinésiologie est le rééquilibrage du « mental » et du physique par le toucher. « Je viens le voir en lui posant trois problèmes : un mal à l’épaule, un stress général, et l’envie d’être sélectionné en équipe de France. J’en étais très loin à l’époque. Il m’a répondu : pour le mal, je peux faire quelque chose. Pour l’équipe de France, rien. Par contre pour votre stress…En me palpant, il a vu en dix minutes l’heure, le jour, l’année de la mort de ma sœur. Tous les marqueurs de stress sur mon corps physique étaient là. Il m’a accompagné pour les enlever un par un. Il m’a aussi aidé à quitter la peur de l’autre, du défi. On allait bien plus loin que la simple matière. Tous les joueurs de rugby ne voient que deux lignes, la leur et celle de l’adversaire. Il m’a accompagné pour que je vois désormais derrière cette ligne, celle de l’en-but. Et quand l’objectif est lancé, c’est comme lorsque l’on conduit une voiture. On se rend à un point bien précis. Souvent on y arrive en se disant qu’on avait mis un pilote automatique, sans réfléchir, sans mental. Eh bien c’était la même chose pour moi quand j’étais sur un terrain ».
« Prenons l’exemple d’un sport collectif comme le rugby en France. Un jeune issu d’un beau village du sud-ouest dans un pays de cocagne démarre grâce à l’influence de son père, d’un copain, voire pour ressembler à l’un de ses héros.
La personne qui s’occupe en règle générale de nos chères têtes blondes ou brunes n’a pas de travail fixe. Elle porte souvent un passé très lourd, parfois avec des lacunes psychologiques. Dans un environnement social défavorisé ou en difficulté émerge une forte agressivité véhiculée par les petits clubs. Pour avoir assisté à de nombreux matchs, les bagarres sont fréquentes sur et en dehors du terrain. « Pète ! » (au sens « Rentre lui dedans »), est le langage récurrent.
Les jeunes sont donc formés très tôt à une agressivité physique.
Contrairement aux All Blacks, la référence en la matière, nous fonctionnons en France en catégorie d’âge, et non de poids. Les « fragiles – peut-être à forte potentialité » décrochent. Les rares qui émergent le font grâce à une capacité de transcendance hors du commun et non par le « mental ». Au lieu de s’enrichir de cela, de cette diversité, on leur redemande ensuite de rentrer à nouveau dans un moule en junior ou en adulte ».
« Avant chaque match je faisais le tour du stade, des lignes sur le terrain, je me situais ». Outre une intelligence kinesthésique évidente, ce grand champion a développé une intelligence mathématique (il adore les jeux arithmétiques), et une intelligence spatiale : « j’adore l’architecture. Dès que je rentre quelque part, je vois tout du premier coup d’œil. C’est l’une des raisons pour lesquelles je n’aimais pas jouer à Mayol, à Toulon. Parce que le terrain est bombé, et de là ou j’étais à l’aile, je n’avais plus une vue d’ensemble, plus mes repères ». Il dispose d’une très belle intelligence inter personnelle et a dû développer son intelligence intra personnelle à cause d’un coup dur : la perte de sa sœur et la recherches de solutions par la kinesthésie et par l’astrologie. Ce drame lui a également conféré une intelligence spirituelle : « notre corps est connecté au ciel, tête sur les épaules et les pieds ancrés. Tout le talent consiste à être en équilibre entre ces trois points ». Dominici est intéressé depuis longtemps par la nature et vient même d’acquérir deux sources d’eau. Il avoue une faiblesse totale dans les intelligences verbo-linguistique et musicale.
En racontant son essai en demi-finale de coupe du monde 99 contre les All Blacks, il se rend compte que cet instant précis était la synthèse de toutes ses intelligences : la peur et le stress s’étaient emparé de lui peu avant de pénétrer sur le terrain. Il décide de monter dans les tribunes pour échanger avec son coach/kinesthésique. Celui-ci lui dit : « sois l’anguille au milieu des rochers ». Juste avant son essai de la cinquante-sixième minute, il savait ce que son demi de mêlée Fabien Galthié allait faire.
« Dès qu’il a le ballon, je sais ». Par sa position du pied, sa prise de balle, son souffle, son regard, le placement des adversaires, le vent… Par un ensemble d’informations « impalpables » qui parvenaient à son cerveau en interaction constante avec ses muscles, ses tendons, la sécrétion de glucose, la production d’adrénaline…
Il admet même être parti avant le coup de pied tellement il l’avait « senti ». Et il a couru sans regarder. Ses capteurs lui disaient intimement qu’il récupèrerait la balle et qu’il irait à l’essai. « Peu importait le rebond, je savais qu’il était pour moi ».
Il conclut : « Très souvent lorsque j’interviens en entreprise les gens me disent : vous devez votre carrière à un bond rebond. Et je leur réponds : non, je dois ma carrière à une bonne anticipation. À une maîtrise engrammée d’une adaptabilité multiple ».
Dans le « ici et maintenant », constamment ».