Échanges avec Fabien Galthié ou la clé de son succès…

 Lorsque j’échange avec Fabien Galthié, il n’est pas encore entraîneur de l’équipe de France de rugby. L’homme est affable, souriant, ouvert. Nous étions convenus de confronter nos idées autour d’une bonne bouteille sur la notion de « coaching », telle qu’enseignée dans des écoles comme HEC. Mon idée était que plus un coach est éloigné d’un sujet (moins il connaît la matière qui occupe le coaché en somme), plus il peut apporter. Entre d’autres termes un très bon joueur de rugby ne ferait en aucun cas un bon coach de rugbyman, à part bien sûr pour lui enseigner les fondamentaux et la technique.

C’est donc avec scepticisme qu’il accueille ce point de vue. Cet ex-joueur stratège, atypique dans son milieu, est un homme charismatique, qui a vécu les blessures du sport et de l’âme. « Réussir c’était ne pas avoir de regret, aller au bout de ce que je pouvais. J’ai creusé un peu plus, en entrant chez Cap Gemini, la sociologie de l’organisation, la socio-dynamique, les skills managériaux, ASE, tout ce qui aidait pour accélérer l’engagement des collaborateurs. Tout ce que je vis est un laboratoire. J’essaye de comprendre pourquoi ça marche ou non. Ensuite, je me suis spécialisé sur les datas pour mieux anticiper l’humain, ses blessures, apprendre à composer. Pour déterminer des facteurs clés de succès ou d’échecs. La mise en place de règles rouges, partagées par tous, pour libérer des zones bleues. J’avais beaucoup d’intuition, je n’étais pas un numéro 9 comme les autres. Je sentais les tensions, j’aimais construire le jeu, sentir les forces, les déséquilibres. Ensuite j’ai appliqué la convergence de tout cela. Mes voyages en Afrique du Sud m’ont nourri, ainsi que cette impression de vivre des situations de crise permanentes en tant que joueur ou entraîneur. Je suis dubitatif devant le coaching au sens où tu me le décris ».

Terrain de rugby illustrant les échanges entre Christophe Bourgois-Costantini et Fabien Galthié, sélectionneur de l'équipe de France de Rugby sur la notion de coaching

Je lui rappelle alors le changement radical observé chez le numéro 10 de l’équipe de France de l’époque, François Trin d’Huc, qu’il avait sous ses ordres à Montpellier. Le joueur avait fait des progrès fulgurants dans son jeu au pied et Fabien Galthié explique alors comment il l’avait aidé à progresser : « Ses coups de pieds ne passaient pas. Il était stressé et dans une spirale négative. Je vais jouer au golf. Là je rencontre un spécialiste de la balistique. J’emmène Trin D’Huc. Il se met à comprendre les trajectoires, les frottements, les courbes, c’est-à-dire à cultiver une intelligence logique et mathématique qu’on n’enseigne pas dans les écoles de rugby … Il s’est mis à beaucoup mieux botter et est sorti du trou du stress. Mais rien ne remplace le vécu, l’expérience. Donc un coach qui viendrait de l’extérieur ça ne marcherait pas ».

Je me permets alors de souligner la contradiction, puisqu’il semble que l’apport de notions comme la balistique par quelqu’un d’extérieur a eu les résultats escomptés et que peu de coaches auraient eu l’intuition de Fabien. Il enchaîne sur le principe de la pépite : « Raconte-moi une histoire où tu as réussi quelque chose de grand, n’importe quoi, mais raconte-moi. On va « l’opérer » pour que le joueur retrouve sa pépite, être en position d’écoute et en sortir les points forts, surtout UN, pour l’ancrer ».

Je reviens sur la notion de coaching, éloigné du sujet, telle qu’enseignée à HEC. « Pourquoi pas dans le sens où il faille être loin du sujet. Mais il m’est difficile d’être en position basse car je suis trop impliqué dans le rugby ».

J’évoque une possibilité d’ouverture vers les 10 intelligences, qui permettent à des champions de le devenir en cultivant des aptitudes très éloignées, comme je l’avais remarqué chez Rafael Nadal. « Ta démarche est bonne car tu es dans l’ouverture et tu captures. Mais tu vas être confronté à une jeune population, tellement soumise au stress dû à des contraintes, la pression médiatique, l’environnement proche, qu’elle développe un réseau d’appui pas toujours bien choisi (Exemple de l’importance énorme des agents) ».

Enfin, lui qui avait été sur la défensive jusque-là, se révèle finalement très ouvert – rien d’étonnant à cela vu sa grande ouverture d’esprit et me fait cette confidence à l’issue de notre dîner : « J’avais une pubalgie qui ne passait pas. J’ai tout essayé. On me recommande alors un kiné qui résidait à 35 km de Colomiers. Le type me recevait tard. Une fois par semaine, toujours à des horaires impossibles. Il m’a fait du crânien, des exercices de respirations, et surtout il m’a dit : vous allez la soigner. Tout seul. Je me rendais compte que j’allais chez lui pour parler de tout sauf du rugby ou de ma blessure. Le type restait en position basse. Mes questions qui n’avaient rien à voir avec mon problème, et il me laissait répondre tout seul. Au final, ma blessure a disparu. Il m’a appris à me coacher ».

De là à considérer que l’intuition tient une place essentielle en matière de coaching, outre la seule analyse, il n’y a qu’un pas… Et c’est probablement cette même intuition qui a conduit Fabien Galthié sur les chemins du succès.