Le danger de mort catalyse-t-il l’intelligence relationnelle du personnel hospitalier et aérien ?

Ou comment cette peur -sur la terre comme au ciel- crée du lien et de l’empathie.

 

N’avez-vous jamais remarqué, à de très rares exceptions près, que le personnel navigant se montre très souvent bienveillant – à l’instar des infirmières ?

Hôtesses et stewards gardent généralement leur calme en toutes circonstances : ils sont courtois, affables, prévenants. On ressent chez eux un véritable esprit de corps.

En effectuant des recherches et interrogeant nombre d’entre eux, j’ai compris que le rapport à la spiritualité, le sens de la vie, arrivent en tête des mots clés dans leurs relations. C’est l’intelligence existentielle, l’une des dix intelligences avec lesquelles nous venons au monde, qui fédère certains corps de métiers comme le personnel navigant ou hospitalier.

Olivier Cid, chef de cabine sur Air France moyen-courrier, confirme que les tests à l’embauche insistent beaucoup sur la capacité empathique. L’organisation hiérarchique, même au sein d’un vol, s’applique par exemple peu entre chefs de cabines et stewards, sauf pour l’exécution des règles de sécurité comme l’évacuation d’un avion : « Nous sommes 15 000 et il est vrai que nous sommes tous porteurs de valeurs de bienveillance. Je ne l’explique pas. Nous nous découvrons parfois les uns les autres lors du briefing une heure seulement avant le vol et pourtant il y a un lien entre nous, et avec les passagers. Peut-être est-ce la mort, inconsciemment, qui nous fédère ».

Le personnel navigant est généralement très branché spiritualité, chemin de vie, bracelets basés sur les énergies. « Nous sommes très sensibles aux énergies des clients. C’est comme un sixième sens, une philosophie de vie, que l’on ne retrouve pas chez nos collègues pilotes, trop cartésiens. Empathie, intérêt pour l’autre, travail sur soi…, on a tous avancé et c’est vrai que c’est l’une de nos particularités. Probablement aussi parce que nous avons beaucoup voyagé en Asie et que nous nous sommes ouverts à d’autres philosophies de vie. »

Il se crée donc une forme d’intimité au sein du personnel navigant, alors que ce sont des gens qui ne se sont jamais vus avant un vol et ne se reverront probablement jamais après, les plannings étant conçus pour ne pas créer d’habitudes défavorables à la sécurité. Le fait de quitter la terre ferme et les repères associés amène à prendre du recul par rapport à la vie, à réfléchir à son parcours, à s’ouvrir aux autres. D’autant que les masques tombent, les nationalités et les classes sociales se mélangent, les différences s’effacent et chacun revient à l’essentiel. À croire que plus proche du ciel, richesse intérieure et foi se développent.

Estelle Monard, hôtesse depuis treize ans, insiste sur le fait que le personnel s’inscrit beaucoup dans l’observation, dans la compréhension du stress des passagers. « Nous sommes comme une grande famille, on s’entraide, on se ressemble. Nous sommes sociables, ouverts, beaucoup dans la tolérance. On ne critique pas l’autre, on n’émet pas de jugement. À la fin de chaque vol, on se confie entre nous, d’autant plus facilement qu’il y a peu de chance qu’on se revoie. Cela crée un ciment. » Un exutoire quasi anonyme, en somme.

Il faut avouer que le spectre de la panne, de l’attentat, de la mort, favorise la coopération et la cohésion. En toutes circonstances, chacun doit pouvoir compter sur l’autre.

Valérie Bellé, 60 ans, vient de prendre sa retraite après trente et un ans chez Air France. « Il y a quelque chose qui nous unit fortement et c’est probablement la mort. C’est un risky business. Même en briefing nous n’abordons pas le sujet : quand vous êtes à 10 000 mètres dans une carlingue où il suffit d’une erreur… Nous n’en parlons jamais entre nous, mais c’est prégnant. Cela nous soude. Nous fuyons tous quelque chose en faisant ce métier. Nous sommes en recherche d’une vie douce, facile, sans responsabilité. Comme de grands enfants insouciants. Notre métier est un pied de nez à la mort, à la banalité. »

Rappelons, pour la petite histoire, que les premières hôtesses n’étaient autres que des… infirmières dont la mission était de rassurer les passagers à bord !

Et si nous applaudissions aussi avant de pénétrer dans l’avion ?