Comment la musique stoppe la spirale de la délinquance ?

Jean-Claude Decalonne dirige un magasin de musique rue de Rome, avec une spécificité : il est luthier d’instruments à vent… Au travers de l’association Tutti Passeur d’Arts, qu’il a développée en véritable projet de vie, il crée des espaces d’accueil pour les enfants des quartiers défavorisés afin qu’ils puissent devenir des musiciens d’orchestre et les sauver ainsi de l’échec et de l’exclusion.

Sa source d’inspiration ? José Antonio Abreu Anselmi, pianiste et économiste vénézuélien talentueux, féru de musique, qui se désespérait, au milieu des années 1970, de voir les enfants de sa ville de Barquisimeto ne pas aller à l’école et se perdre dans les vols et les trafics en tout genre. Son idée de génie pour stopper cette spirale de délinquance : construire un système d’éducation autour d’instruments de musique fournis dans les écoles pour faire jouer ces enfants six heures par jour et les attirer en leur offrant un repas. Grâce à la création du programme El Sistema, aujourd’hui devenu un réseau national d’orchestres d’enfants, la jeunesse a adhéré très rapidement à son projet et la délinquance a chuté de façon très significative.

Mais le maestro est allé plus loin encore, en découvrant, un an plus tard, qu’il existait en Écosse un concours international d’orchestres d’enfants. Il a réuni une centaine de jeunes, issus des bidonvilles, qui ont été encadrés par des élèves mélomanes et les a portés jusqu’à la victoire : ils ont remporté le concours, ouvrant ainsi la voie du rayonnement du Venezuela dans le monde de la musique classique. Le célèbre chef d’orchestre Gustavo Dudamel, directeur musical de l’Opéra de Paris depuis avril 2021, est issu de cette filière. Le Venezuela, pourtant en grande difficulté économique, compte à ce jour plus d’un million de musiciens organisés autour de nucleos, des orchestres de deux cents enfants répartis dans le pays.

À la mort de José Antonio Abreu Anselmi, en 2018, plus de onze mille musiciens ont célébré sa mémoire avec trois cents concerts joués au Vénézuela.

Ce modèle, répliqué dans plus de 50 pays, a valu à Abreu une reconnaissance internationale.

Il a reçu de nombreuses distinctions dont le Prix international de la musique de l’Unesco (1993), le prix Principe de Asturias de las Artes, la plus prestigieuse récompense espagnole (2008), la Légion d’honneur, plus haute récompense française (2009) et un Latin Grammy honorifique aux Etats-Unis (2009).

Lorsque Jean-Claude Decalonne décide de reprendre ce modèle, il doit faire face à quelques obstacles : « J’avais créé des orchestres à l’école et je voulais faire la même chose dans nos banlieues. Tout ce que les politiques ont trouvé à me dire lorsque je leur ai dévoilé mon projet, c’est : « Nous ne sommes pas au Venezuela, ici. » Pourtant, à bien regarder certaines banlieues… », précise-t-il. Malgré ces réticences à l’endroit de son projet, l’homme s’accroche… L’une de ses principales réussites est d’avoir monté un projet identique à Garges-lès-Gonesse, dans le Val-d’Oise, avec la pratique de six heures de musique par semaine : de 5 de moyenne générale, les enfants sont passés à 12. « C’est une réussite infaillible et absolue. L’enfant sort de la spirale de l’échec et de la délinquance. »

Comme le disait le maestro Abreu Anselmi, lorsqu’il se vit remettre le prix Nobel alternatif en 2002 : « La participation à l’orchestre a rendu possible la mise en place de nouveaux objectifs, plans, projets et rêves, et, en même temps, c’est une façon de donner du sens et d’aider les jeunes dans leur lutte quotidienne pour de meilleures conditions de vie grâce à la variété des opportunités que l’orchestre leur offre. Chaque enfant est un prix Nobel potentiel. C’est notre devoir d’aller chercher le meilleur en lui, car il y a toujours une solution. »