L’humain, pilier de l’Intelligence artificielle dans le combat armé ?

Le général Sully Barbe, spécialiste de la cyberdéfense, a passé trente-six ans dans l’armée après une formation à Saint-Cyr, doublée d’un cursus en sociologie. Il m’a livré ses réflexions sur l’utilisation pertinente de l’intelligence artificielle.

L’homme est affable, posé, intelligent et d’une grande capacité d’écoute « Ce qui me passionnait, c’était comment utiliser l’intelligence algorithmique dans l’armée, tout en gardant nos fondamentaux ». À ses yeux, ce n’est qu’une technique de plus, une innovation dont il ne faut pas avoir peur, à partir du moment où un socle solide de valeurs unit les équipes : l’esprit de corps, la confiance, la cohésion. « La clé de toute innovation qui se présente, c’est le discernement. On ne va pas confronter cette intelligence algorithmique avec le reste. Il faut surtout se demander ce qu’on en fait et à quoi elle sert réellement. Que va-t-elle apporter à la performance ? C’est cet angle-là qui est intéressant. Pour autant, il a fallu prouver en interne que la numérisation est davantage une opportunité qu’une menace, la démystifier en quelque sorte. Arrêtons d’avoir peur du cyber ; il présente des risques, mais l’on est capable, grâce à lui, de prendre des décisions sur des sujets difficiles. »

Il estime que nous avons encore la main sur le sujet : « Vivre ensemble, connaître intimement l’autre, d’où il vient et ce qu’il pense, demeurent les clés de la relation dans l’armée. On se bat pour la France, mais on se bat surtout pour le camarade d’à côté. Donc, on reste persuadé qu’il faut savoir utiliser ces outils-là dans le cadre des valeurs que l’on a déterminées en interne. Il faut travailler sur ses émotions pour « sentir » l’I.A., la domestiquer, car cela reste un outil. La discipline, les règles communes, l’humanité, aucun outil technique ne pourra les remplacer. Il faut garder l’humain au cœur du système. »

La règle d’or du service du général Sully Barbe est de n’utiliser des algorithmes que s’ils sont maîtrisés en interne, pour éviter les biais. « Nos programmes de recrutement se basent sur des tests, issus de l’IA, qui proposent des profils types, alors que nous savons très bien que nous avons besoin de mixité, de multiples compétences et d’intelligences. Nous sommes en position de décision en permanence, nourris par tous nos échanges, l’expérience commune, le lien, et à la fin, l’IA n’est qu’un outil dont on doit savoir se servir. »

L’intelligence artificielle peut néanmoins être perçue comme une course sans fin dans le brouillard. Une fois passé le premier obstacle, s’ensuit un deuxième et ainsi de suite. C’est presque une course à l’infini. « L’IA partage des data, mais finalement, celui qui fait la différence, c’est celui qui va proposer une part d’émotionnel, un ressenti. Un cerveau de matheux va probablement faire confiance à l’outil, mais le discernement, c’est de constater qu’il y a quelque chose d’autre à côté pour forger ses opinions et ses décisions. Nous avons d’un côté la connexion, de l’autre, le ressenti de la relation. Cette notion de ressenti est tellement importante dans l’armée que même dans les services informatiques nous appliquons une méthode agile : tous les matins, nous nous réunissons face à un tableau et nous plaçons une icône qui exprime si nous sommes en forme ou pas, de bonne humeur ou pas. L’autre clé importante, c’est de créer du lien en dehors du bureau : sur le terrain, à la cafétéria. »