Sport : Le mental des champions

« Le management scientifique est le coupable numéro un qui pénètre dans les lieux de travail et les terrains de sport non en représentant de la science, mais en représentation de la direction, affublée des oripeaux de la science »

Harry Braverman, économiste et écrivain américain

Le sport de haut niveau est un déséquilibre. Les joueurs qui parviennent à ces sommets s’entraînent depuis leur plus jeune âge, parfois dès 5 ans. Tous les jours, quoiqu’il advienne. Dans la boue, le vent, le froid, souvent loin de leur famille, privés des sorties et des amis de leur âge, travaillant tard le soir pour poursuivre leur scolarité par correspondance.

On leur demande d’être forts et performants. De ne pas tenir compte des pressions. Ce sont des rocs. Mais à la moindre défaillance, les doigts se pointent : « Il n’a pas le mental. » Comment ose-t-on ?

Meriem Salmi, qui a été la responsable du suivi psychologique à l’Institut National de l’Expertise et de la Performance (l’INSEP) et qui a notamment été aux côtés de Teddy Riner, regrette sur le net l’absence d’accompagnement psychologique des athlètes, en France. « Je me bats depuis des années pour faire prendre conscience que les athlètes n’ont pas seulement besoin d’un entraînement physique, dit-elle. C’est comme si nous étions dans le déni de la réalité humaine, comme si le sportif n’avait qu’un corps, mais pas de tête. On ne naît pas athlète de haut niveau, on le devient par une série de transformations biologiques, physiques mais aussi psychologiques. »

Un jour ou l’autre, tous les sportifs trébuchent, comme nos trébuchons nous-mêmes dans nos vies. Mais eux, ils trébuchent sous les regards des médias et du public qui leur posent comme condition une nécessité absolue de performance. Ils sont submergés de transferts et de projections de toutes parts : leurs parents, leurs entraîneurs, leurs agents, leurs supporters…

Certains de ces sportifs que j’ai coachés m’ont apporté les « listes de recettes » qui leur avaient été donnés pour, soit disant, se construire un mental de gagnant. Des listes de X façons en X points pour réussir et se débarrasser du stress, des méthodes généralisées avec une très, voire une trop grande place accordée au training et à la quantification. Le sportif doit se « glisser » dans une méthode donnée qui aurait fait ses preuves, ce qui en soi peut sembler rationnel, mais qui en fait, passe à côté d’un élément déterminant : c’est à la méthode à s’adapter au sportif, et non l’inverse.

Beaucoup d’entraîneurs insistent eux aussi sur le besoin de gagner et la peur de perdre, un jeu à somme nulle. Pour eux, gain et perte sont indissociables, et ils n’envisagent pas de troisième possibilité. Alors, ils poussent le joueur à entrainer son physique, encore et encore. La pression des résultats est immense…

Les notions de cadres, de reformulations, de supervision, de travail par le sportif lui-même, sont quasi inexistantes. Des causes de ce « mental déficient » sont systématiquement avancées, et très souvent, nous arrivons dans le « pourquoi », le retour au passé, et dans le « comment », la projection dans le futur. Deux interrogations malsaines, dans la mesure où elles n’aident en rien le joueur, ni le coaché.

Catherine Henry-Plessier, médecin et spécialiste des états d’expansion de conscience, va encore plus loin :

« Les sportifs, me dit-elle, sont dans une conscience ordinaire. Ils naviguent dans un monde matériel et ne voit que les bénéfices à court terme. En France, nous ne savons pas les ouvrir à d’autres états de conscience, ni réveiller les sens subtils. En Inde, j’ai rencontré des enfants qui avaient développé leur ‘troisième œil’, celui qui permet de voir bien plus loin, autrement. Ils peuvent par exemple lire, les yeux bandés, un livre situé dans la pièce d’à côté. Nous sommes réfractaires à ces idées, à cause de notre cartésianisme. »

J’ai rencontré un certain nombre de champions. J’ai discuté avec eux de leur réussite à travers le prisme de leurs aptitudes et intelligences multiples. Je livre ici leurs témoignages.

Franck Piccard, champion de ski

Ses phrases glissent au rythme d’un slalom géant.

« J’ai eu la seule médaille d’or française de ski aux Jeux Olympiques de Calgary, en 1988. A l’approche des Jeux Olympiques d’Albertville, je me suis retrouvé être le seul espoir français. Mais, à six mois des jeux, j’étais quand même à six secondes des meilleurs. Un gouffre. Jean-Pierre Puthod, qui présidait la Fédération française de ski, m’a conseillé de voir un vrai coach, c’est-à-dire quelqu’un qui ne sera pas dans la projection. Avec lui, j’ai repris l’essentiel de ce qui fait un skieur, non pas sur le plan technique, mais sur le son de la glisse, la visualisation, la reconnaissance, les trajectoires, soit le développement d’autres intelligences. Chaque course était un laboratoire, et nous procédions par étape. Très rapidement, mes chronos sont redevenus bons. Il me fallait chercher ma personnalité en dessous de la pression environnante, retrouver le skieur au-delà du champion. En trois semaines j’ai atteint l’équilibre, la performance. Mon coach m’avait donné les moyens de comprendre tout seul, et j’ai pu ensuite prolonger ma carrière… »

Franck Piccard sera médaille d’argent aux Jeux d’Albertville.