J’ai retrouvé le pianocktail… Pourquoi cette invention de Boris Vian dans l’Écume des jours ?

(Extrait)

« – Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianocktail est achevé, tu pourrais l’essayer.
– Il marche ? demanda Chick.
– Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la
Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
– Quel est ton principe ? demanda Chick.
– A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour
l’eau de Seltz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
– C’est compliqué, dit Chick.
– Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
– C’est merveilleux ! dit Chick.
– Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’œuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
– Je vais m’en faire un sur
Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.

Chick se mit au piano. A la fin de l’air, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres apparut. Deux d’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mixture appétissante.
– J’ai eu peur, dit Colin. Un moment, tu as fait une fausse note. Heureusement, c’était dans l’harmonie.
– Ça tient compte de l’harmonie ? dit Chick.

– Pas pour tout, dit Colin. Ce serait trop compliqué. Il y a quelques servitudes seulement. Bois et viens à table. »

Plus globalement, j’utilise beaucoup l’image du clavier de piano dans mes séances de coaching, pour faire comprendre à mes coachés ce qu’est une gamme d’émotions et les connecter à leur intelligence « qui suis-je ? ».

Imaginez que votre émotionnel soit représenté par un clavier de piano de cinquante touches blanches. Assis devant, vous posez le doigt au milieu. À gauche de votre doigt, vers les touches de plus en plus graves, ce sont vos émotions de plus en plus positives, sur la droite, en allant vers les aigus, vos émotions de plus en plus négatives. Vous comprenez donc que pour ressentir une extrême sensation de joie (touche la plus à gauche), il vous faut accepter de ressentir parfois une extrême tristesse (touche la plus à droite) …

Nous ne pouvons être très heureux sans accepter, à l’inverse, de pouvoir être très tristes ; nous devons accepter d’être venus au monde ainsi. À titre d’exemple, une personne très « mentale » aura plutôt un clavier de vingt à trente touches : certes, elle pourra ressentir une joie, mais moins extrême, et une douleur moins forte qu’une autre plus sensible.

Mais je vous pose la question : qu’est-ce qui est le mieux pour accueillir et ressentir la vie ? Un large clavier, une large gamme, ou un clavier restreint ?